Quand j’ai rencontré Mehdi, j’ai tout de suite pensé à Belle et Sébastien, au petit garçon qui jouait le rôle de Sébastien : il s’appelait Mehdi, et il a marqué ma génération, et peut-être quelques autres. C’était une histoire d’amitié entre un enfant et une magnifique chienne des Pyrénées, et je ne m’étais jamais interrogé sur l’origine de ce prénom. Mehdi, c’était Sébastien, un enfant débrouillard et généreux élevé par son grand-père dans les montagnes. J’ignorais qu’il était le fils d’un père marocain et d’une mère française ; pour moi c’était une gosse qui ressemblait à tous les autres, sauf qu’il avait une amie superbe et courageuse, et que, comme tous les enfants de mon âge, j’aurais vraiment aimé être lui.
Par contre je n’aurais pas du tout aimé vivre ce que « mon Mehdi » du 21ème siècle m’a raconté. Mehdi était français et portait un nom à consonance maghrébine.
Je l’ai rencontré à l’occasion d’une action de parrainage que j’avais mise en place dans mon entreprise. En partenariat avec l’AFIP (http://afip-asso.org) , nous avions proposé à des collaborateurs de parrainer des jeunes diplômés qui, du fait de leur couleur de peau, leur nom, leur adresse ou leur cursus scolaire, avaient toutes les peines du monde à accéder au monde du travail ou même à trouver un stage. Quand on est noir ou Arabe, c’est beaucoup, beaucoup, beaucoup plus compliqué. Ce type de parrainage est extrêmement efficace, et comme toute action de ce type, il profite aux deux parties : le/la parrain(ne) et le/la filleul(le). D’un côté le taux de réussite est très élevé, et pour la personne qui parraine c’est une occasion unique de découvrir un monde que l’on ignore totalement, et en étant conscient des réalités et de ses propres préjugés, on peut agir.
Mehdi, contrairement à la plupart de mes filleuls ou filleules avait déjà trouvé un travail, mais il l’avait quitté. Pourtant, c’était un bon job : commercial pour vendre des produits financiers. Le « hic », c’est que son responsable, dès son premier jour de travail, lui avait donné un conseil : « tu sais, avec ton nom, ça va être un peu compliqué, il vaudrait mieux le modifier pour que tu sois sûr de réussir »
Pour Mehdi, c’était vraiment difficile de refuser, il était tellement heureux d’avoir un job qui en plus pouvait être vraiment rémunérateur. Et c’est ainsi qu’il s’est retrouvé avec des cartes visites incroyables : on lui avait donné un nom à « consonance juive, parce que ça donne confiance aux clients ».
Mehdi a essayé, mais il n’a pas tenu. Comment aurait-il pu ? Devoir renier son identité pour avoir le droit gagner sa vie est d’une violence telle qu’elle en est totalement insupportable.
Cette histoire se passe en France au 21ème siècle, et j’en suis encore sidéré après quelques années. Je ne pensais pas que l’on puisse insulter la différence à ce point, et ce, avec le plus grand calme. Car c’est bien une insulte à l’encontre de ceux qui ont un nom supposé « venu d’ailleurs », et c’est une insulte à l’encontre de ceux que l’on associe toujours à l’argent : rappelons-nous la tragédie Ilan Halimi, c’était il y a dix ans.
Mehdi m’a permis de franchir un cap dans la compréhension, dans la conscience du fait qu’il faut changer, qu’il faut le faire maintenant et dans le monde du travail aussi, bien sûr. Depuis des années, nous avons concentré nos actions diversité sur le genre et sur le handicap : ce n’est plus suffisant. La question des cultures et origines est brulante et elle se télescope avec l’actualité mondiale qui renforce les peurs, les stéréotypes et les réflexes dangereux.
L’entreprise doit s’engager tout d’abord en affirmant haut et fort son rejet du racisme et de l’antisémitisme, ensuite en mettant en place des actions concrètes. Rester immobile sous prétexte que l’on ne peut pas compter, c’est se cacher derrière son petit doigt et ce n’est plus acceptable.
Pour cela il va falloir évoluer de l’intégration à l’inclusion. Vaste programme aurait dit un certain général.
racisme, antisémitisme, discrimination
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Michael (mardi, 27 septembre 2016 08:03)
Cher Jean-Michel, une fois de plus tu es "spot-on" en débusquant bien la double rationalité raciste à l'oeuvre dans ce genre de pratique: tant anti-arabe qu'antisémite. Bien sûr, Mehdi a accédé à un bon job, comme quoi son ethnicité n'a pas directement été perçue comme un problème. Une fois accédé au job, commence le reste des discriminations dont on parle encore trop peu dans la gestion de la diversité: toutes celles qui concernent la progression de carrière, parfois au nom de "l'intérêt" de la personne elle-même (la pire forme qui soit). Jusqu'à la pension. Une urgence. merci de mettre ça en avant.